La Commission nationale de l’informatique et des libertés (CNIL) a récemment publié les résultats de ses contrôles sur l’utilisation des logiciels d’analyse vidéo par l’État et les communes en France. Cette enquête, menée dans le cadre de son plan stratégique 2022-2024, fait suite à une révélation du journal Disclose en novembre 2023 concernant l’utilisation du logiciel BriefCam par les services du ministère de l’Intérieur et certaines communes. La CNIL a effectué des contrôles auprès de quatre services du ministère de l’Intérieur et de huit communes pour vérifier la conformité de l’utilisation de ces technologies avec le cadre légal en vigueur. Il est important de noter que ces contrôles ne concernaient pas les dispositifs de « caméras augmentées » mis en place pour les Jeux Olympiques et Paralympiques 2024, qui ont fait l’objet de contrôles spécifiques. Le cadre légal actuel est très strict concernant l’utilisation des caméras « augmentées ». La loi « Jeux olympiques et paralympiques 2024 » autorise leur utilisation à titre expérimental et temporaire jusqu’au 31 mars 2025, uniquement pour assurer la sécurité des manifestations sportives, récréatives ou culturelles particulièrement exposées à des risques d’actes de terrorisme ou d’atteintes graves à la sécurité des personnes. En dehors de ce cadre, l’utilisation de caméras augmentées est en principe interdite, sauf à des fins purement statistiques

Les contrôles menés auprès des services du ministère de l’Intérieur ont révélé qu’aucune utilisation de caméras « augmentées » pour analyser en temps réel des images de la voie publique à des fins opérationnelles n’a été constatée, conformément au cadre légal. De plus, aucun cas d’usage de la reconnaissance faciale « à la volée » dans l’espace public n’a été observé

Cependant, la CNIL a constaté que certains services d’enquêtes du ministère utilisent depuis 2015 des logiciels d’analyse vidéo en différé, notamment pour la recherche d’auteurs présumés d’infractions dans le cadre d’enquêtes judiciaires. Ces logiciels permettent de rechercher rapidement, sans reconnaissance faciale, la présence de véhicules, de personnes correspondant à un signalement, ou de certains objets dans les enregistrements vidéo

La CNIL considère que ces logiciels d’analyse vidéo sont des traitements de données personnelles relevant de la législation des logiciels de rapprochement judiciaire (LRJ). Leur usage est légal mais strictement encadré par le code de procédure pénale. Notamment, leur utilisation doit être limitée aux officiers et agents de police judiciaire et autorisée par le magistrat saisi de l’enquête ou chargé de l’instruction au cas par cas

Concernant les communes, la CNIL a identifié trois principaux types d’usages des logiciels d’analyse vidéo. Premièrement, certaines communes les utilisent pour détecter automatiquement des situations laissant présumer une infraction sur le domaine public ou des événements considérés comme « anormaux » ou potentiellement dangereux. Ces usages sont en principe interdits en l’état actuel du droit. Deuxièmement, certaines communes les utilisent pour générer des statistiques, par exemple en mesurant la fréquentation d’une zone en différenciant les usages. Cet usage est autorisé, à condition d’informer suffisamment les usagers, ce qui n’était pas toujours le cas. Troisièmement, certaines communes utilisent ces logiciels pour répondre à des réquisitions judiciaires, ce qui est légal sous certaines conditions

Suite à ces constats, la CNIL a prononcé plusieurs mises en demeure. Le ministère de l’Intérieur a été mis en demeure de transmettre l’ensemble des engagements de conformité et analyses d’impact manquants concernant l’utilisation des logiciels d’analyse vidéo. De plus, la CNIL a demandé au ministère de supprimer ou de brider une fonctionnalité de reconnaissance faciale intégrée lors d’une mise à jour du logiciel BriefCam, rappelant que les dispositifs d’identification ou de caractérisation des personnes physiques à partir de leurs données biométriques ne sont pas autorisés par le législateur dans l’espace public

Concernant les communes, six d’entre elles ont reçu des mises en demeure pour mettre fin aux manquements constatés. La CNIL souligne l’importance de respecter le cadre légal, de limiter l’analyse vidéo à des fins judiciaires, d’informer suffisamment les usagers et de sécuriser les systèmes de traitement des données

En conclusion, la CNIL réaffirme sa vigilance quant à l’utilisation des caméras « augmentées » et des logiciels d’analyse vidéo par les pouvoirs publics et les collectivités, compte tenu des risques importants pour les droits et libertés fondamentaux des personnes et la préservation de leur anonymat dans l’espace public. Cette position s’inscrit dans le cadre plus large de la réflexion sur l’équilibre entre sécurité publique et protection des libertés individuelles à l’ère du numérique